Publié le 23-07-24
Découvrez les différences entre l'Europe et les États-Unis dans la construction de l'encadrement légal des crypto-actifs, avec le Règlement MiCA en Europe et le futur projet CANSEE aux États-Unis."
Sommaire :
I) Introduction :
II) Le projet de loi CANSEE ((Crypto-Asset National Security Enhancement and Enforcement) :
II- 1) Le décryptage de l’avis de Jerry Brito pour « CoinCenter » :
II-1-1) Qu'est-ce que "Code is Law" ?
II-1-2 ) Code is Law est-il opposable à CANSEE ?
III) Conclusion :
Entre mai et juin 2023, l'Europe a démontré son engagement à développer la sécurité juridique de l'économie des crypto-actifs.
Elle a mis en place deux textes importants pour encadrer cet écosystème en pleine croissance :
Ces réglementations, applicables sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, ont pour objectif de protéger l'innovation technologique portée par les crypto-actifs.
Elles luttent contre une utilisation qui favoriserait le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (AML-FT).
De plus, elles offrent, et le Règlement MiCA en particulier, aux utilisateurs des crypto-actifs des règles de protection semblables à celles qui s'appliquent aux investisseurs dans le domaine des services financiers.
Cependant, la déclinaison de ces droits se fait de manière différente, reflétant la nature unique des actifs numériques.
En effet, dans son article 2 pour définir son champ d’application, le Règlement MiCA souligne bien en § 4 qu’il ne s’applique pas aux crypto-actifs qui répondent à la qualification :
Ces mesures législatives marquent une étape importante dans la régulation des Fintechs et des actifs numériques, en positionnant l'Europe comme un leader dans ce domaine.
En effet, même si des incertitudes doivent être levées par le travail d’interprétation pour l’application du Règlement MiCA par l’ESMA ( Autorité européenne des marchés financiers)et l’AMF (Autorité des Marchés Financiers pour la France) pour bien définir la frontière entre instruments financiers et crypto-actifs.
Cette qualification dépendra le plus souvent de la qualification du sous-jacent du jeton :
Les bases réglementaires sont maintenant claires pour permettre aux acteurs du web3 décentralisé de se positionner.
Parallèlement au travail acharné qu’ont fourni les autorités européennes ces deux dernières années pour construire le statut des crypto-actifs, notamment par le Règlement MiCA, les États-Unis ont adopté eux une approche différente.
Ils ont choisi de définir les crypto-actifs au « cas par cas », en prenant des positions qui peuvent être dommageables pour l'écosystème car elles peuvent intervenir a priori du lancement des projets, et sous l'angle d'une requalification à double niveau :
Celui de l'instrument financier :
La lutte contre le blanchiment :
Ces mesures ont eu un impact significatif sur le marché des cryptoactifs aux États-Unis notamment en 2022/2023, créant une incertitude pour les investisseurs et les entreprises du secteur.
Or aux Etats Unis comme en Europe, Il est essentiel de comprendre ces réglementations, leurs implications et la position des autorités de régulation, pour naviguer avec succès dans le monde des crypto-actifs
Le projet de loi CANSEE, présenté au Sénat américain, a un objectif principal : forcer les services DeFi et les distributeurs automatiques de bitcoins à se conformer aux règles américaines :
Comme nous l'avons précisé dans notre introduction, les autorités de régulation américaines, notamment la SEC, considèrent que les protocoles de DeFi décentralisés ne permettent pas de mettre en place des contrôles pour lutter contre le blanchiment (AML).
Cette position ouvrirait la porte à de nombreux problèmes, contre lesquels l'État américain estime que sa sécurité est compromise.
Parmi ces menaces, on compte le narcotrafic, le trafic d'armes de destruction massive, et les attaques par ransomware.
Actuellement, de nombreux commentateurs aux États-Unis estiment que le projet de loi CANSEE pourrait aboutir à l'interdiction des logiciels décentralisés.
Nous vous tiendrons informés de la suite de ce débat parlementaire américain qui ne fait que commencer.
Nous pensons qu'il est intéressant de commenter à ce sujet un article du "Coin Center", qui critique vertement le projet de loi CANSEE en arguant de son inconstitutionnalité.
Jerry Brito, dans son analyse pour "CoinCenter", souligne que le projet de loi CANSEE, porté au Sénat par les sénateurs Reed, Rounds et Romney, a été déposé sans concertation préalable avec l'écosystème des crypto-actifs.
Bien que Jerry Brito reconnaisse la nécessité de lutter contre l'utilisation criminelle des protocoles cryptographiques, il estime que la méthode de raisonnement du projet de loi est erronée et violerait le premier amendement de la Constitution américaine.
Ce moyen de défense, déjà évoqué et débattu par les développeurs web3 aux États-Unis, trouve ses racines dans le manifeste des Cypherpunks et dans la formule de Lawrence Lessig, "Code and Other Laws of Cyberspace", publiée pour la première fois en 1999.
Cette formule a donné naissance au concept de "Code is Law", cher aux développeurs.
Lawrence Lessig a utilisé cette formule pour expliquer comment le code informatique, à l'instar du code législatif, pouvait également être utilisé pour contrôler et réguler le comportement dans l'espace numérique.
Appliquée aux technologies de la blockchain et surtout des smart contracts, "Code is Law" a été utilisé par les développeurs pour signifier que les règles écrites dans le code d'un smart contract devaient être considérées comme inaltérables et exécutoires de manière automatique, sans l'intervention d'un intermédiaire humain.
La "pureté de l'écriture du code" est considérée comme une loi en soi dans le monde des crypto-actifs.
Cette écriture informatique, créée par l'esprit humain, est équivalente à une œuvre d'art ou littéraire.
Ainsi, elle peut être protégée au titre de la liberté d'expression, qui englobe également la liberté de la presse et de réunion, selon le premier amendement de la Constitution américaine.
Poussant la réflexion plus loin, certains juristes américains considèrent que le "Code est un discours".
Cette notion implique que le droit d'effectuer des transactions en cryptomonnaie pourrait être couvert par les droits du premier amendement.
De même, la liberté d'association pourrait englober le droit fondamental à la confidentialité des transactions sur la blockchain.
Par ailleurs, le quatrième amendement protège les individus dans leur personne, domicile, papiers, effets, contre les perquisitions et saisies non motivées.
Ainsi, le quatrième amendement pourrait-il protéger les protocoles DeFi contre l'obligation de recourir à des intermédiaires pour collecter des informations sur les clients (KYC-AML) ou pour se conformer à la réglementation ?
Cette question soulève l'idée d'étendre la protection du quatrième amendement à un Wallet ou une adresse publique.
Le débat est ouvert : le code informatique d'une application blockchain est-il comparable à un discours publié ?
Pour Jerry Brito, il n'y aurait pas de différence entre la publication d'un discours, d'un livre ou d'un code pour une blockchain.
Si l'on suit cette logique, le projet de loi CANSEE, qui régulerait le secteur de la finance décentralisée (DeFi), pourrait être inconstitutionnel selon le premier amendement de la Constitution américaine.
Ce projet exige que toute personne qui publie le code d'une application DeFi s'enregistre auprès des autorités compétentes, pour vérifier notamment le statut d’instrument financier du token émis par le protocole.
Le défaut d’enregistrement serait considéré comme une violation de la loi.
En outre, le projet CANSEE pourrait aussi réguler ceux qui "contrôlent" un protocole DeFi, laissant la définition du contrôle à la discrétion du secrétaire du trésor.
Cette définition pourrait s'étendre à ceux qui modifient indirectement le code informatique du protocole, incluant potentiellement les contributeurs de logiciels libres.
La garantie que les concepteurs de protocoles DeFi pourraient obtenir une exemption s'ils se conforment à la réglementation existante semble illégitime, car la décision d'exemption serait laissée à la discrétion du secrétaire du trésor.
Si l'on interdit la publication de code source ouvert pour les protocoles cryptographiques décentralisés tout en permettant au secrétaire du trésor d'accorder des autorisations discrétionnaires, cela pourrait freiner considérablement le développement de l'innovation.
Selon Jerry Brito, le caractère excessif de ces deux manières de réguler les protocoles DeFi rendrait le projet CANSEE potentiellement inconstitutionnel.
Le futur de la finance décentralisée (DeFi) aux États-Unis et en Europe est un débat passionnant à suivre.
Les discussions en Europe portent principalement sur l'opposabilité des droits fondamentaux reconnus par les traités européens, un sujet que nous explorerons par d’autres articles.
Dans le contexte français, certains auteurs adoptent une approche plus nuancée.
Ils considèrent le code informatique, dans le langage "machine à machine", comme une règle d'exécution plutôt qu'un discours.
Olivier ROCCA, chercheur et professeur, a expliqué dans son article "Concepts fondamentaux de la nouvelle économie"( Editions HAL en ligne) , que le code est la norme la plus basse dans la hiérarchie des normes, en dessous du contrat de droit privé, qui peut être modifié.
Au-dessus des contrats de droit privé, on trouve les lois d'ordre public, les lois organiques, les traités, les directives européennes et la constitution.
Cette hiérarchie des normes est immuable et le "code informatique", en tant qu'écriture logicielle auto-exécutante, doit s'imbriquer dans ces normes.
Cependant, nous tenons à souligner que toute norme, y compris le code informatique, devrait être un outil garantissant la libre expression des droits fondamentaux de l'individu.
Le débat autour du projet de loi américain CANSEE souligne la nécessité d'envisager la création d'une nouvelle branche de l'anthropologie.
Cette nouvelle discipline chercherait à unifier les réflexions des développeurs de code à l'échelle mondiale :
Cette initiative servirait à élaborer les nouveaux droits fondamentaux de l'individu à l'ère du numérique.
Il est essentiel d’y garantir des normes communes et interopérables pour toutes les interactions avec la technologie.
Les débats ne font que commencer et que ce soit aux États-Unis ou en Europe, nous continuerons à réfléchir avec vous.
Cet article rappelle aux membres de l'écosystème blockchain que la création d'un protocole, destiné à opérer sur une blockchain et à interagir avec un smart contract, transcende la simple programmation.
La collaboration avec un juriste pour garantir la conformité du code aux normes juridiques du monde réel, avec lequel il interagit par ses conséquences, est indispensable.
Notre cabinet, expert dans le domaine des nouvelles technologies et spécifiquement de la blockchain, est à votre service pour vous accompagner et vous conseiller dans la conception de tous vos projets numériques.
N'hésitez pas à nous solliciter et à consulter régulièrement notre site pour rester au courant des débats et des réglementations actuelles concernant l'écosystème des crypto-actifs, réglementation MiCA, et de la blockchain en général.
Article publié le 24 Juillet 2023
Véronique RONDEAU-ABOULY
Avocat Blockchain et DPO externe.
La rédaction de cet article a été conçue et organisée pour vous soumettre des informations utiles, des axes de réflexion pour une utilisation personnelle ou à visée professionnelle.
Il est mis à jour régulièrement, mais dans un contexte réglementaire et jurisprudentiel évoluant, nous soulignons que nous ne pouvons être responsables de toute péremption du contenu, ou de toute erreur juridique et/ou inexactitude qui pourrait se révéler en fonction de l’évolution, le lecteur voudra bien considérer qu’en tout état de cause, pour une application personnalisée, chaque cas est unique et que bien sûr, le cabinet reste à votre disposition si vous avez une question précise à poser en lien avec cet article, nous nous ferons un plaisir de collaborer avec vous, n’hésitez pas à prendre contact ou à nous téléphoner.
Mots Clefs :
: crypto-actifs, réglementation MiCA, SEC, CFTC, Security token, blanchiment d'argent (AML-FT)
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